Le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ont été l’une des principales priorités de l’agenda politique de l’UE au cours des dernières années en raison de leur impact et des dommages substantiels qu’ils causent à l’économie et au système financier, mais aussi à la sécurité des citoyens.
En juillet 2021, la Commission européenne a proposé de créer un paquet comprenant un large éventail d’initiatives législatives pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme au niveau européen. En décembre 2023, la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’UE sont parvenus à un accord provisoire sur les principaux éléments de ce paquet, articulé autour de quatre piliers clés :
1. Création d’une nouvelle Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux (AMLA)
La première mesure la plus attendue du paquet AML (Anti-Money Laundering) est la création d’une Autorité au niveau européen pour renforcer la supervision de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et soutenir la coordination entre les Cellules de Renseignements Financiers (CRF) nationales. Il s’agit d’une nouveauté dans la mesure où, jusqu’à présent, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme était menée au niveau national, avec des divergences entre les États membres en termes d’efforts pour atteindre leurs objectifs.
L’AMLA implique un mécanisme intégré avec des pouvoirs de supervision au niveau national pour s’assurer que les entités à haut risque du secteur financier respectent leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Plus important encore, l’AMLA aura le pouvoir d’imposer des sanctions pécuniaires aux entités obligées qui enfreignent de manière répétée les exigences applicables. Certains secteurs non financiers seront également dans le collimateur de l’AMLA, mais son pouvoir se limitera à des recommandations non contraignantes. Cette entité centralisée aura non seulement un rôle représentatif, mais aussi un rôle contraignant. Enfin, une base de données centrale d’informations pour le système de surveillance de la LBC/FT sera mise en place.
2. Règlement sur les exigences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent pour le secteur privé
Le paquet anti-blanchiment élargit le champ des entités soumises à des obligations en vertu de la réglementation anti-blanchiment. Les fournisseurs de services de crypto-actifs (CASP) seront davantage réglementés et devront appliquer le principe d’identification et de vérification de leurs clients et signaler toute activité suspecte, au même titre que les autres entités traditionnelles (banques, établissements de crédit, agences immobilières, casinos, etc.) Les négociants en produits de luxe (métaux précieux, pierres précieuses, bijoutiers, etc.) ainsi que les clubs de football professionnels et leurs agents font également partie de la liste.
Les paiements en espèces – qui font déjà l’objet d’une surveillance dans la plupart des pays de l’UE – seront limités à 10 000 EUR, avec la possibilité d’abaisser ce seuil au niveau national. La définition de la propriété effective des personnes morales est également clarifiée en distinguant le « contrôle » de la « propriété », les deux nécessitant une analyse pour identifier les bénéficiaires effectifs (ultimes) d’une entité de l’UE ou d’une entité d’un pays tiers faisant des affaires avec l’UE. Le seuil a été ramené à 25 %. D’autres clarifications sont présentées sur les structures complexes et multicouches afin de garantir qu’il ne sera plus possible de se cacher derrière plusieurs couches de sociétés.
3. Directive anti-blanchiment (AMLD6)
La sixième directive anti-blanchiment est le troisième pilier du paquet anti-blanchiment. Elle remplace la directive AMLD5 mise en œuvre en 2018. Dans un rapport publié par les co-rapporteurs en mai 2022, il est indiqué que le Parlement « regrette que les normes de l’UE n’aient pas été transposées à temps par les États membres et qu’elles n’aient pas été correctement appliquées au niveau national. Il note que les divergences dans la mise en œuvre des directives anti-blanchiment précédentes ont également sérieusement compromis l’efficacité du cadre » (site web du Parlement européen). Une fois de plus, la proposition vise à éviter les divergences réglementaires entre les États membres.
La directive AMLD6 donne aux autorités de surveillance nationales le pouvoir d’enquêter sur la véracité des informations collectées. Les CRF nationales pourront échanger des informations entre elles et coordonner leurs actions en diffusant des rapports transfrontaliers, elles bénéficieront d’un accès immédiat et direct aux informations financières, administratives et répressives (informations fiscales, fonds gelés, registres des embarcations, etc.) pour une meilleure efficacité.
L’identification des bénéficiaires effectifs, comme nous l’avons déjà mentionné, est un élément important des obligations de vigilance. Les entités responsables de la tenue des registres des bénéficiaires effectifs (mis en œuvre dans le cadre de la LBCD4 et 5) seront habilitées à mener des enquêtes si elles ont des doutes quant à l’exactitude des informations fournies. D’autres organes de la société civile, tels que les journalistes ou les organisations d’intérêt public, pourront également accéder à ces registres dans le cadre de leurs fonctions.
Enfin, tout comme les entités du secteur financier, l’UE va procéder à une évaluation des risques au niveau national afin d’évaluer les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme sur son territoire et de pouvoir formuler des recommandations aux États membres qui procéderont eux-mêmes à une telle évaluation des risques au niveau national.
4. Règlement sur les transferts de fonds
Comme nous l’avons déjà mentionné dans le premier point de cet article, les PCAC seront également touchés par la nouvelle réglementation. Avec l’essor des actifs numériques, une révision de la réglementation pour garantir la transparence des fonds est cruciale. Il sera demandé à tous les fournisseurs de services de crypto-actifs d’appliquer une diligence raisonnable sur leurs clients, mais aussi de rendre accessible un certain type d’informations sur les donneurs d’ordre et les bénéficiaires afin que les fonds puissent enfin être traçables.
Une étape clé dans la lutte contre la criminalité financière
L’introduction du « Paquet AML » est un moment charnière au niveau international dans la lutte contre la criminalité financière et le maintien de l’intégrité financière. Grâce au renforcement de l’autorité réglementaire et à la collaboration entre les parties concernées, le dépistage et la surveillance des activités de blanchiment de capitaux seront plus rationnels et plus efficaces. Toutefois, le succès et l’efficacité de cette initiative dépendront de l’exécution et de la collaboration globale de toutes les parties prenantes.
En février 2024, un accord a été trouvé pour établir le siège de l’AMLA à Francfort, en Allemagne, à la mi-2025. Dans l’intervalle, les institutions financières et les autres entités non financières doivent se préparer à un cadre réglementaire plus strict et à une surveillance plus intrusive.
Sources :
Chronologie: Action de l’UE contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans l’UE
Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (AMLA) : La ligne d’arrivée approche
https://www.amla-frankfurt.eu/amla/EN/Home/home.html